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Le malaise

C’est avec un peu plus d’une semaine à faire à Toronto que j’ai envie de vous partager ce qui est probablement la cause de mon plus grand malaise cet été: les mendiants/sans-abris.

Je m’excuse d’avance si cet article est pas mal sinueux, j’ai laissé libre-cours à ma pensée en ce beau dimanche soir autour de minuit!

C’est une des choses qui m’a marquée à Toronto. Quand je vais chaque jour à l’université à Québec, je ne vois pas un seul mendiant. Je crois que je pourrai compter sur les doigts de mes mains le nombre de sans-abris que j’ai croisé à Québec dans toute ma vie (probablement que je ne fréquente pas les bons quartiers). À Toronto par contre, c’est pas mal inévitable. Il ne passe pas une journée sans que je croise un mendiant sur le trottoir.

Il n’y a pas si longtemps (il y a un an ou deux), je me rappelle avoir dit à mon père alors qu’on marchait à Montréal que, avoir un peu plus d’argent, je ne pourrais pas m’empêcher d’en donner un peu ici et là aux mendiants, question de faire ma bonne action quotidienne. Il blaguait encore au début de cet été que, vivant seul dans une ville remplie de mendiants, je deviendrai aussi pauvre qu’eux.

Depuis que j’ai joins ISF, j’ai un peu reconsidéré la question. Donner de l’argent à un mendiant, je crois c’est « pitcher » de l’argent dans le problème, qui ne sera pas résolu simplement par générosité collective. Le problème, ce n’est pas que des gens ont besoin d’argent dans la rue, le problème, c’est que notre société permette que des gens se retrouvent dans la rue, sans-abris. Pour résoudre un problème systémique, vaut mieux trouver une solution qui corrige le système plutôt qu’une solution qui traite les symptômes. Jusque là, je crois que je ne vous apprends rien (et je ne crois pas que cette réflexion de ma part est un grand coup de génie).

Mon malaise personnel se situe autour d’une question connexe: sachant cette situation, comment devrais-je agir?

Prenons le cas logique, découlant de ce que j’ai dit plus haut: je décide de ne rien donner puisque c’est litéralement lancer de l’argent dans un trou noir. Maintenant, qu’est-ce que je fais avec cet argent? Est-ce que je suis moralement forcé d’utiliser cette somme pour essayer de régler le plus gros problème? Devrais-je donner à une fondation, financer une initiative populaire?

Ou alors, je peux garder l’argent pour moi même et me convaincre que si j’investis dans moi-même maintenant, je serais mieux équippé pour régler des problèmes d’envergure plus tard. Mais alors, cet argent, est-ce que je l’investi réellement dans mon développement personnel ou dans du divertissement? La bière que je bois, ça aurait pu être un 2$ que je donne à un mendiant. Oui, ça serait « pitcher » de l’argent dans le vide, mais d’un autre côté, je suis en train de le boire, ce 2$.

Je peux alors me convaincre que je mérite ce 2$ pour moi, puisque je travaille fort dans mes études et à l’extérieur pour avoir un impact positif dans le monde. Fair enough. Mais jusqu’à quel point puis-je me récompenser alors que quelqu’un à l’extérieur voudrait avoir cet argent (et aurit objectivement besoin de cet argent). Faudrait-il que je m’impose un maximum de bières par mois?

Bon, ça c’est ce qui se déroule dans ma tête, mais cette situation ne se déroule pas en solo. Cette interaction et l’impact de mon choix sont vécus aussi par le mendiant en question. C’est facile de dire non à une machine, ou de ne pas cocher la petite case pour faire un don quand vous faites un achat en ligne quelconque. Le fait d’être face à un humain en difficulté, ça rend les choses pas mal plus difficiles.

D’emblée, je suppose que ce qui ferait plaisir à un mendiant, ce serait que je lui donne un peu d’argent. Par contre, comme vous le savez, ce n’est pas le choix que je fais. Je me vois mal expliquer au mendiant que ça ne changerait rien au problème que de lui donner de l’argent parce que, dans les fait, ça changerait sa situation à lui. Comment pourrais-je expliquer à un sans-abris que je ne l’aide pas puisque je préfère plutôt peut-être m’assurer que les gens ne se retrouvent pas sans-abris dans le futur? Avez-vous déjà vu un sans-abris affamé mais heureux d’entendre que je vais peut-être utiliser l’argent pour rendre les gens moins affamés dans le futur?

Je concède, je n’ai jamais expliqué cela à un mendiant, mais j’ai une hypothèse que je mendiant n’apprécierait pas l’excuse. C’est donc pourquoi je fais comme une majorité de gens et je passe mon chemin en limitant les contacts visuels. Si un mendiant me questionne, je prétexte ne pas avoir de monnaie (un beau mensonge). Ça doit tout de même être chiant de se faire ignorer par tout le monde, et de toujours se faire répondre la même bullshit. Ils ne sont pas caves les mendiants, je crois qu’ils voient au travers de mon petit jeu.

Question d’être plus gentil, je pourrais peut-être leur parler, leur adresser la parole un peu. Par contre, je ne l’ai jamais fait pour la simple et bonne raison que je suis inconfortable à l’idée de devoir conclure en ne leur donnant rien. Comme si le fait de dire « non » c’est plus difficile que de ne rien dire du tout.

Je me sens en constant malaise face à cette situation. Des milliers de dollars donnés à des sans-abris ne changeraient pas le problème, mais ça changerait tout de même leur vie à eux. Ce serait pour plusieurs d’entres-eux l’occasion de repartir leur vie à neuf. C’est un dilemne vraiment chiant à gérer je trouve, de choisir entre une meilleure vie pour quelques gens aujourd’hui, qui souffrent dans notre face, ou une hypothétiqye meilleure vie pour une grande quantité de futurs sans-abris qui n’existent pas encore.

Ce qui est aussi chiant, d’un point de vue personnel, c’est que je n’ai pas de solution, pas de grande révélation, pour vous et pour moi. Je passe les sans-abris sans rien leur donner, pas même un long regard. Je suis responsable de ce geste, mais ultimement, c’est eux qui en vivent les conséquences. Cet article n’est même pas une apologie, je suis conscient (et responsable) du fait que j’achète une bière plutôt que de donner à un humain dans le besoin.

J’aimerais beaucoup avoir vos avis sur cette question, que faites-vous quand vous rencontrez un sans-abri dans la rue? Vivez-vous un malaise?

*AH j’oubliais, et qu’est-ce que je pense des sans-abris qui s’achètent de la drogue/alcool ou qui sont des imposteurs? Est-ce que ce risque est une bonne raison de ne pas donner aux sans-abris? Je crois que rare sont les gens qui sont vraiment aptes à juger des sans-abris de cette façon, d’autant plus que tous les sans-abris ne fonds pas parti de ces catégories. Pour ma part, utiliser ces prétextes pour ne pas donner un peu de monnaie, c’est se dissimuler dans la mauvaise foi. C’est une façon de ne pas assumer son choix de ne pas donner en prétextant que c’est pour le bien du sans-abris, ou qu’il n’en avait pas vraiment besoin. Tout le monde est responsable de ses choix

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Une réflexion sur “Le malaise

  1. C’est compliqué de faire face à la question de donner des sous à un inconnu dans l’immédiateté (faux mendiant ? vrai drogué ? etc). Je pense que le choix conscient de ne pas « jeter dans un trou noir », qui semble logique quand il est justifié par la recherche d’une solution pérenne, est en réalité soit une réflexion « perfectionniste » où on refuse l’inefficacité d’une « générosité de coin de rue », soit une chute dans le « piège autocentriste » où on analyse l’impact de « seulement » 1$ comme négligeable. Alors qu’en réalité si on tenait collectivement le raisonnement inverse, ça en ferait des 1$ ! Mais d’un autre côté quand je me surprends à prendre le problème entier comme un problème que « je » dois résoudre, j’accepte les limites inhérentes à ma contribution locale et je me pose la question de la conséquence directe de mon geste… Que se passe-t-il si je me sépare de ces sous aujourd’hui ? Et si j’en donnais tous les jours pendant 1 mois, 1 an ? Que se passe t-il par contre si je les conserve ? Seront-ils gâchés ? Je crois que les réponses à ces questions varient selon les personnes. Personnellement je me dis que je me consacrerai à cette urgence (de donner aux mendiants) jusqu’à un certain montant maximum annuel et je fais confiance aux autres (la loi des grands nombres hein hehe) pour les autres urgences. Après c’est un devoir moral de travailler à réduire réellement la pauvreté ou plutôt l’indigence en général. Comme pour tous les autres objectifs de la vie (carrière, études etc), il faut donc avoir un vrai plan si on ne veut pas se contenter de phrases pour flatter sa conscience. C’est le plus difficile. En tout cas, j’apprécie ta réflexion; c’est un bon sujet (très profond) à mettre sur la table.

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